Lorsque les éléphants mâles se battent, ils se heurtent à grande vitesse, serrant leurs défenses ensemble en signe de force. Ces incisives allongées sont si fortes que leurs porteurs les utilisent souvent pour se débattre et se jeter par terre. Mais les défenses ne servent pas uniquement à infliger des dommages; en dehors de la bataille, les éléphants les utilisent pour dégager des sentiers traversant la végétation et même déplacer des arbres. Le plus remarquable est que chaque éléphant garde le même ensemble de défenses, pesant chacune jusqu'à 400 kg, pendant toute sa vie.
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Pour accomplir ces diverses tâches, la matière qui constitue les défenses d'éléphant doit être dure, solide et résistante. Cette combinaison de qualités fait partie de ce qui a fait de l'ivoire un élément aussi convoité de l'histoire de l'humanité, se vendant à plus de 2 000 dollars le kilogramme il y a à peine trois ans. Historiquement utilisé dans les boules de billard, les touches de piano et même les remplacements de hanche, l'ivoire continue d'être apprécié aujourd'hui pour les bijoux et autres objets de luxe.
Malheureusement, la valeur que les gens attachent à l'ivoire d'éléphant a également alimenté les conflits et est liée au crime organisé, perpétuant un commerce sanglant qui nuit à la fois aux êtres humains et aux pachydermes.
Dans les années 1970 et 1980, le braconnage illégal a incité la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, ou CITES, à inclure les éléphants d'Afrique sur leur liste d'espèces protégées, y compris celles menacées d'extinction. En 1990, la CITES a promulgué l'équivalent d'une interdiction des ventes internationales d'ivoire d'Afrique. Les populations d'éléphants ne se sont rétablies que pour être à nouveau décimées par une récente vague de braconnage dans les années 2000. Depuis lors, des dizaines de milliers d'éléphants - jusqu'à 60% de la population dans certaines régions - ont été abattus. Selon certaines estimations, 50 000 éléphants sont tués chaque année.
C’est ce commerce sanglant qui a poussé Fritz Vollrath, biologiste à l’Université d’Oxford, à réfléchir à ce qu’il faudrait faire pour créer un matériau de fabrication humaine capable de produire aussi bien que de l’ivoire - et donc de réduire la demande de substance qui en a résulté. beaucoup de mal. À l'époque, Vollrath étudiait les propriétés d'un autre matériau remarquable que l'on trouve dans la nature: la soie d'araignée. Mais il a également étudié le comportement et les schémas de migration des éléphants, le familiarisant trop bien avec les conséquences du commerce de l'ivoire.
Au microscope, l'ivoire révèle sa structure moléculaire: un échafaudage tridimensionnel au collagène rempli de minéraux d'hydroxyapatite et d'eau. Vollrath souhaitait comprendre suffisamment ce maquillage distinct pour améliorer les substituts à base de plastique existants avec une réplique véritablement «biologiquement inspirée». «Nous avons encore du mal à comprendre pourquoi ce matériau est si dur», a déclaré Vollrath. «Il combine deux types de matériaux, les minéraux et le collagène. Ni l'un ni l'autre ne sont d'excellents matériaux en soi, mais si vous les mélangez… cela devient quelque chose de différent. ”
Mais qu'est-ce que "quelque chose de différent"? Pour Vollrath, la première étape dans la création d'un faux ivoire réaliste consiste à déterminer ce qu'est exactement le véritable ivoire. Ainsi, utilisant des échantillons d'ivoire saisis de contrebande, son groupe de recherche a découpé de fines tranches - sur lesquelles on peut voir les lignes hachurées caractéristiques de l'ivoire - et les a soumises à des études microscopiques détaillées et à des tests de résistance. Le but est de comprendre à des échelles fines comment la structure se traduit par la force et la beauté du matériau.
Malgré tout, concède Vollrath, il a encore beaucoup de chemin à faire.
Défense en ivoire sculpté avec une surface entière sculptée de figures humaines, de faces triangulaires et de serpents rayonnant d'un cercle. (Musée national d'art africain / Smithsonian) Iain Douglas-Hamilton, biologiste et responsable de l'organisation pour la conservation Save the Elephants, présidée par Vollrath, explique la demande d'ivoire des consommateurs au début des années 2000 et a atteint son apogée en 2011, entraînant une baisse importante des populations d'éléphants dans toute l'Afrique. «En 2009, les choses ont commencé à se dégrader avec une énorme hausse du prix de l'ivoire, tirée par la demande croissante en Chine et par le pouvoir d'achat accru des citoyens chinois ordinaires», a déclaré Douglas-Hamilton. «À l'époque, les effets [du commerce de l'ivoire sur les populations d'éléphants] étaient peu connus. Cela a radicalement changé ces dernières années.»
Heureusement, depuis 2014, le prix de l'ivoire a chuté de plus de la moitié en prévision d'une interdiction chinoise du commerce de l'ivoire, selon un rapport de Save the Elephants. Plusieurs grandes usines de sculpture sur l'ivoire, qui fonctionnaient auparavant légalement, ont déjà été fermées depuis l'entrée en vigueur de l'interdiction dans les derniers jours de 2016. L'achat et la vente d'objets en ivoire devraient être complètement arrêtés d'ici la fin de 2017, ce qui élimine environ 70 pour cent du marché mondial de l'ivoire.
"On craignait que l'ivoire" légal "puisse être utilisé comme écran de fumée [pour le commerce illégal]", a déclaré Douglas-Hamilton. "Cela a amené les Chinois à penser que le seul moyen de contrôler le commerce était de l'abolir."
Vollrath s'est donc concentré sur les applications biomédicales de l'ivoire synthétique. Par exemple, il pense que son matériel pourrait être utilisé pour la réparation des os ou des dents, ou pour mettre à jour la pratique du XIXe siècle consistant à utiliser l'ivoire pour le remplacement de la hanche à l'âge de la médecine régénérative. Mais il travaille également à démêler les propriétés qui rendent l'ivoire si précieux sur le plan culturel et artistique.
L'ivoire a toujours été utilisé dans diverses économies culturelles, des instruments de musique aux objets de décoration. «Pour les sculpteurs en Chine, l'ivoire est un matériau très important», dit Vollrath, se référant à des artisans chinois qui créent des objets décoratifs à partir d'ivoire vendu légalement ou illégalement. "Notre idée de départ était que, si nous pouvions persuader les sculpteurs de renoncer à leur lobby en leur offrant un matériau de substitution à sculpter, cela pourrait avoir un effet sur le commerce de l'ivoire et le braconnage." Maintenant que l'ivoire a été interdit, substitut peut aider à garder le métier en vie.
L'ivoire naturel possède également d'autres qualités plus difficiles à maîtriser. Une application traditionnelle a été la fabrication d'instruments de musique. Alors que les pianos sont maintenant fabriqués avec des clés en plastique, une petite communauté de musiciens jouant du shamisen, un instrument japonais traditionnel à trois cordes utilisé dans le théâtre Kabuki et d'autres traditions musicales folkloriques japonaises, utilise des pièces en ivoire pour la fabrication de ses instruments.
Ces pièces sont constituées de stocks d'ivoire existant déjà dans le pays, mais des rapports font état de trafic illégal, explique Keisuke Yamada, un étudiant diplômé en ethnomusicologie qui étudie le shamisen à l'Université de Pennsylvanie. «La plupart des maîtres shamisen au Japon préfèrent les pièces en ivoire», explique Yamada par courrier électronique. «Ils disent qu’ils aiment son emprise; il est confortable et absorbe la transpiration, ce qui est important pour eux de continuer à jouer de l'instrument pendant des heures. ”
Bien que des projets d'ingénierie soient en cours pour développer des matériaux alternatifs pour la construction de shamisen, Yamada doute que les maîtres shamisen soient disposés à passer à d'autres matériaux tant que l'ivoire est légalement disponible dans le pays.
De plus, même une fois qu'un matériau est bien caractérisé, il faudra encore beaucoup de temps et de recherches pour traduire ces connaissances en techniques de reproduction. Mais une fois que nous le faisons, le potentiel est vaste. «À mesure que nous approchons de la compréhension de matériaux complexes comme l’ivoire, nous pouvons recréer une partie de leur magie au laboratoire et, à terme, concevoir de nouveaux matériaux à utiliser dans les domaines de l’art, des sciences et de l’ingénierie», déclare Markus Buehler, professeur d’ingénierie au Technologie, par email.
«Pour passer d'un matériau biologique à un matériau d'ingénierie, il est essentiel de comprendre les relations entre structure et fonction», déclare Buehler, qui a travaillé sur la soie d'araignée mais n'a aucun lien avec les chercheurs sur l'ivoire. "Il est souvent difficile de fabriquer réellement un matériau qui imite celui que l'on trouve dans la nature." Le défi technique clé pour comprendre un matériau naturel comme l'ivoire, a-t-il ajouté, consiste à avoir accès à une gamme de techniques d'imagerie permettant de caractérisé du niveau moléculaire au niveau macro.
Les boules d'ivoire comme celles-ci, datant de 1925, rappellent une époque où les seules vraies boules de billard étaient coupées dans de l'ivoire asiatique frais. (Musée national d'histoire américaine / Centre Kenneth E. Behring / Smithsonian) Ulrike Wegst, professeur d'ingénierie à Dartmouth , écrit dans un article de synthèse de la revue «qu'il n'est pas anodin de reproduire les caractéristiques d'un matériau naturel». Malgré les progrès réalisés dans la caractérisation des matériaux biologiques, peu ont été synthétisés avec succès en raison de la difficulté de comprendre leur complexité à plusieurs échelles, écrit-elle. Une exception possible est la nacre, ou nacre - qui, à l'instar de l'ivoire, est constituée de composants organiques et minéraux et a été reproduite de près par des ingénieurs humains.
«Il est en effet possible de concevoir des matériaux biomimétiques avec des propriétés similaires à celles de leurs homologues», explique Wegst par courrier électronique. «Les premières questions que je voudrais poser sont les suivantes: pour quelle application souhaitez-vous créer un matériau de substitution à l'ivoire et quelles sont les exigences de conception pour cette application? ... Il existe de nombreux chemins et plusieurs pourraient être très excitants.
À terme, synthétiser l'ivoire pour une consommation de masse nécessiterait de nouer des partenariats avec l'industrie. Mais les connaissances sur les caractéristiques moléculaires de l'ivoire pourraient être utiles aux biologistes, aux ingénieurs et aux défenseurs de l'environnement bien avant cela. Vollrath souligne que l'ivoire d'éléphant est distinct des autres ivoires; son architecture interne diffère de celle des mammouths ou des narvals et des différences anecdotiques ont été signalées entre les ivoires d'éléphants de régions et d'environnements différents.
"Il serait intéressant de savoir s'il existe une raison historique ou évolutive à ces différences, et si elles ont des implications sur la ténacité et les propriétés mécaniques", déclare Vollrath.
Une meilleure compréhension de ces distinctions pourrait également être utile pour suivre le commerce illégal de l'ivoire. Vollrath suppose que s'il existe de fortes différences entre les ivoires sur la base de facteurs environnementaux ou génétiques, les spécialistes de la conservation pourraient utiliser ces données pour déterminer l'origine de l'animal d'où provient l'ivoire saisi. Cela pourrait compléter la méthode de suivi de l'ivoire à base génétique que Elizabeth Kolbert a récemment publiée dans Smithsonian Magazine, dans laquelle les chercheurs associent des mutations génétiques spécifiques trouvées dans l'ivoire à des populations d'éléphants connues .
Cependant, tous les experts en politique de conservation ne sont pas d’accord pour dire qu’ajouter au marché une idée convaincante du faux ivoire serait une bonne idée. «Il est très peu probable que les produits synthétiques issus de la faune qui ressemblent à la réalité réduisent la demande et puissent même contribuer à la stimuler», explique Leigh Henry, conseillère principale en politiques du World Wildlife Fund, par courrier électronique. «De plus, les produits similaires peuvent couvrir le commerce illégal et rendre le travail des agents de contrôle beaucoup plus difficile.»
Cela devient plus compliqué. Si l'ivoire synthétique était abordable, abondant et considéré par les consommateurs comme un substitut acceptable, il pourrait faire baisser le prix de l'ivoire réel suffisamment pour dissuader le braconnage, a déclaré Carolyn Fischer, chargée de recherche à Resources for the Future, qui a mené des recherches universitaires sur le commerce extérieur. produits de la faune. Mais si la prévalence du faux ivoire supprimait le stigmate de posséder de l'ivoire réel, cela pourrait avoir l'effet inverse.
"En fin de compte, l'effet net dépend du fait que l'abondance d'un substitut puisse faire baisser les prix plus qu'elle ne stimule la demande en diminuant la stigmatisation", a déclaré Fischer par courrier électronique.
Déterminer la bonne stratégie pour lutter contre le braconnage des éléphants nécessitera nécessairement une combinaison d’efforts de la part d’experts de différents domaines. Entre-temps, les travaux de Vollrath visant à déterminer ce qui rend l'ivoire si unique pourraient profiter à certains de ces autres domaines, de l'ingénierie à la conception. Après tout, un des avantages souvent mentionnés de la conservation de la faune est de préserver les innovations chimiques, physiques et techniques mises au point par l’évolution afin que les humains puissent les comprendre et les adapter à leurs utilisations.
Comme le dit Buehler au sujet des collaborations entre biologistes et ingénieurs: «C’est un objectif intéressant, je pense, et les avantages mutuels peuvent être multiples."
