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Un jardin pour défier les saisons

Comment un roi pourrait-il prouver qu'il était monarque de droit divin, mais en maîtrisant les saisons de croissance de la nature? Dans sa quête pour avoir à sa table le fruit le plus succulent et le plus délicieux des légumes, Louis XIV ordonna au jardinier renommé et méticuleux Jean-Baptiste de La Quintinie de servir de directeur pour le Potager du Roi ou la Cuisine du Roi.

Dans ses cinq années de gérance du jardin, La Quintinie a introduit de nombreuses innovations botaniques. Il a conçu des bassins de compost pour surmonter le gel et accélérer la croissance, et il a fait construire le jardin comme une grille de clôtures en maçonnerie pour protéger les plantes délicates des vents violents. Entre autres choses, il a pu prolonger la saison des récoltes à Versailles et fournir à la table du roi des produits du jardin six mois par an.

Dans un roman français intriguant qui a récemment été traduit en anglais, Frédéric Richaud, auteur pour la première fois, dresse un portrait coloré et fictif de l'historique La Quintinie. L'extrait suivant de Jardinier au roi de Richaud (Arcade Publishing, 1999) présente l'horticulteur comme un homme dédié à son jardin, alors même qu'il entretient un mécontentement croissant face à l'extravagance de la vie à la cour du roi soleil, dont le grand - un pouvoir incompétent qu'il finirait par défier.

Août 1674. À Versailles, tout se parlait de guerre. Après la victoire fulgurante du roi sur la Hollande et ses ambitions démesurées, ses deux meilleurs généraux, bien qu'anciens ennemis, s'unissent maintenant pour mettre un terme à la coalition européenne qui venait de franchir les frontières nord de la France. À Seneffe, en Belgique, le prince de Condé, autrefois rebelle, retenait les assauts de Guillaume d’Orange. La flambée de la campagne dans les Pays-Bas emplit l'air de clameurs de tambours, d'artillerie et de cris d'hommes. Chaque côté comptait ses morts par milliers.

Jour après jour, les jardins et les galeries de Versailles semblaient résonner du vacarme de la bataille ou du son plus faible, mais peut-être plus terrible, des silex émettant des lames allemandes. Pendant vingt-quatre heures, on pourrait distraire et dissiper la crainte d'un magnifique divertissement à la cour, de la beauté d'Athénaïs de Rochechouart, du tintement des fontaines ou de la musique du divin Lully. Mais le lendemain, tout le monde serait à nouveau inquiet: l'armée avançait-elle toujours, combien de prisonniers avaient été faits, combien d'étalons capturés à l'ennemi?

Condé [...] a fini par ressembler à [un héros] d'un [my] mythe. On a dit de Condé en particulier qu’après la mort de trois chevaux sous ses ordres un jour au cours de la bataille contre les Hollandais, il en avait appelé un autre et l’avait accusé de poursuivre l’ennemi en fuite.

Jean-Baptiste de La Quintinie était indifférent à de telles agitations. Il n'a prêté qu'une oreille attentive aux récits sanglants que lui ont racontés les gens et a observé de loin le malaise croissant à la cour et les allées et venues incessantes des messagers. Ce n'est pas qu'il ne s'intéresse pas à l'évolution de la guerre et au destin de ses héros. Il connaissait bien Condé et était heureux d'entendre parler des exploits qui lui apportaient une nouvelle gloire. Mais il avait sa propre guerre à mener, une guerre longue et silencieuse, une guerre dont personne ne parlait.

Les grandes manœuvres de La Quintinie avaient commencé il y a quatre ans, après que le roi l'ait relevé de ses fonctions envers Fouquet et l'avait fait intendant des vergers et des potagers de Versailles. Les instructions du roi avaient été très claires. Un jour, alors qu'il se promenait avec son entourage dans les allées tracées par Le Nôtre, le monarque se tourna brusquement vers son nouveau jardinier et lui dit:

"Savez-vous ce que j'attends des artistes qui travaillent pour moi, Monsieur de La Quintinie?"

"Non, Sire."

"Perfection, monsieur ... perfection. Et, monsieur de La Quintinie, vous êtes artiste.

Et cette demande, ces attentes, loin d’énerver La Quintinie, l’avaient convaincu.

Les trois hectares dont il était responsable et qui, dans les jours précédant la construction du grand château, fournissaient assez de provisions pour le roi et la cour après les chasses et autres plaisirs de la campagne, avaient dû être récemment agrandis et redessinés pour faire face à la situation actuelle. exigences plus lourdes et plus exigeantes. Louis et ses invités étaient de plus en plus nombreux à visiter Versailles une fois le printemps arrivé. La Quintinie avait donc amélioré la qualité générale du sol en ajoutant de l'argile, de la silice et de la craie, et traité la plupart des lits à la chaux. Il fit creuser de nouveaux drains et surveilla ses hommes qui semaient des graines, construisaient des serres et plantaient des arbres fruitiers.

Une fois que le nouveau sol a commencé à produire ses premiers produits, allant des variétés les plus familières aux plus rares, la lutte est devenue plus subtile mais peut-être encore plus ardue - épuisante en été quand il y a trop peu de pluie et inconfortable en automne quand il y a c’était trop, alors qu’en hiver il y avait du gel contre lequel il fallait se protéger. Toute la saison, le jardin était menacé par des prédateurs - oiseaux, mammifères et insectes. Le jardinier avait donc ses propres campagnes, sa propre armée dévouée, ses propres armes en bois et en acier, ses propres victoires et défaites.

Dès le jour de sa nomination, La Quintinie était un objet de curiosité. On savait peu de lui à son sujet, si ce n'est que le roi lui avait adoré l'idée et qu'il avait abandonné la loi et adopté l'horticulture il y a quelques années. Mais pourquoi avait-il coupé court ce qui, selon ceux qui le connaissaient alors, allait être une brillante carrière? Avait-il été influencé par une visite aux jardins botaniques de Montpellier? Ou par ses voyages en Toscane et le pays autour de Rome? Personne ne savait. Mais chaque fois que le destin dictait un nouveau tournant, tout le monde pensait que Dieu devait être derrière la révélation, tant de plaisir apportait son travail à l'âme ainsi qu'au corps de ceux qui savouraient ses résultats.

Bien que la plupart des courtisans aient aimé ou même admiré La Quintinie, certains étaient jaloux de la façon dont le roi le visitait parmi ses plantes, passant parfois des heures à le regarder au travail dans une tranchée ou dans un arbre. Le jardinier semblait inconscient de la présence royale.

Certains disaient qu'il était protestant, d'autres qu'il était un ancien rebelle et un lecteur assidu des Mémoires de La Rochefoucauld. D'autres l'ont à nouveau accusé d'athéisme, affirmant l'avoir entendu louer Vanini et son Admirandis Naturae . Selon la rumeur, il aurait même échangé des lettres avec d'éminents botanistes anglais et italiens sur des sujets autres que les semences et les discussions techniques sur la culture des radis. Le roi, sous la pression de ceux qui l'entouraient, ordonna jadis à Bontemps, son valet en chef et à ses hommes en uniforme bleu, d'espionner le comportement du jardinier pendant quelques semaines. Mais ils n'ont rien observé d'extraordinaire.

La Quintinie a parfois travaillé dans son jardin pendant des jours sans comparaître à la cour. Et quand ses détracteurs l'auraient aperçu dans l'un des couloirs du palais, ils en auraient profité pour se moquer de son manque d'élégance. Sa démarche rapide contrastait étrangement avec la maladresse de ses gestes. "Il devrait engager les services d'un maître de danse." Il est allé tête nue et portait des vêtements de travail, culottes, bas et chaussures maculés de boue. "Un tailleur ne viendrait pas mal non plus." En présence de ceux qui étaient haut placés, il disait peu: vous pouviez dire qu'il n'attendait que le moment où il pourrait s'échapper une fois de plus dans son propre domaine. "Sans parler d'un tuteur de rhétorique."

Mais dès qu'il fut de nouveau dans son potager, son rythme devint plus détendu, ses mouvements gracieux et précis. Il connaissait chaque plante et chaque insecte par leur nom. Le soir, à mesure que les ombres s'allongeaient, les gens venaient lui parler pour profiter non seulement de sa connaissance des fruits et des légumes et des saisons, mais aussi de la simple sagesse qu'il avait apprise du monde où il régnait.

La Quintinie participait rarement aux fêtes somptueuses que le roi poursuivait, guerre ou non guerre, à fournir. Des démonstrations éblouissantes d'équitation ont clairement ennuyé le jardinier. Il en a été de même pour les tournois dans lesquels Monsieur, le frère aîné du roi, a montré son talent pour la lance. La Quintinie arrivait souvent, pleine d'excuses, après le début des procédures ou parfois quand elles étaient terminées. De temps en temps, il disparaissait au moment où Monsieur allait faire une charge particulièrement impressionnante.

"Nul doute que M. de La Quintinie a quelque chose de mieux à faire."

"Son travail est très exigeant ..."

"Vous ne pensez pas, monsieur de Courtois, que moi aussi j'aimerais bien m'échapper chaque fois que j'en ai envie d'une promenade fastidieuse ou d'un jeu de cartes coûteux?"

"Pourquoi ne le fais-tu pas alors, mon cher?"

"Vous connaissez sûrement les règles? Je sais ce qui m'arriverait si j'abandonnais allègrement mon poste. Avez-vous oublié ce qui est arrivé au Comte de Rey il y a quelques mois?"

"Je n'en sais rien. Qu'est-ce qui s'est passé?"

"Il a mis un point d'honneur à comparaître à la cour le plus rarement possible. Il a dit préférer sa campagne bien-aimée près de Rouen. Puis, un jour, il a dû présenter une requête au roi. responsable chargé de l'organisation des audiences? "Monsieur le comte de Rey?" demanda-t-il lorsque la liste des pétitionnaires lui fut lue. "Jamais entendu parler de lui." L’histoire s’est répandue comme une traînée de poudre, et tout le monde a dit qu’il n’avait jamais entendu parler de lui non plus. Il peut donc maintenant profiter pleinement de sa célèbre campagne. Il n’a pas d’amis au monde. "

Quelques semaines auparavant, le jardinier s'était mêlé à la foule de paysans et de travailleurs saisonniers qui s'étaient rassemblés pour regarder l'arrivée de la cour à Versailles. Bien que la vue soit maintenant familière, elle n’a jamais cessé de le fasciner. La voiture rouge du roi, soulevant des nuages ​​de poussière, tirée par six chevaux blancs et flanquée de mousquetaires, entra dans la grande cour de Marbre, la cour en marbre surplombée par les appartements royaux. La voiture du roi était suivie d'une longue file de calèches et d'un cortège encore plus long de chariots et charrettes chargés d'armoires, de lustres, de tables et de bustes en marbre. Peu à peu, la foule de voyageurs se dispersa dans les appartements et les couloirs du château ou disparut le long des allées du jardin.

À toute heure du jour et parfois même la nuit, des pétitionnaires, des commerçants, des ouvriers, des flunkeys et un nombre croissant de prostituées envahirent le palais. Bientôt, malgré le nettoyage quotidien, les dorures et le stuc ornant les appartements et les grands escaliers s’imprégnèrent d’une odeur d’excréments.

Mais le bruit et les odeurs, flottant aux fenêtres, se sont estompés avant d’atteindre le potager.

C'était harceler le travail, diriger le jardin. Tous les matins, depuis plus d'un mois, des hommes entraient et sortaient de ses différents enclos pour casser des paniers de pommes ou d'oranges sur le dos ou porter des haies et des brancards chargés de raisins, de figues et de poires. Des brouettes étaient nécessaires pour transporter les citrouilles et les choux. Mais La Quintinie ne s'est jamais lassé de superviser de tels travaux, bien que cela puisse prendre plusieurs heures, selon la taille de la commande. Il examina tous les cartons et les paniers un par un, enlevant tous les spécimens imparfaits qui étaient envoyés aux écuries royales ou à la faisanerie. Il ne savait ni ne se préoccupait de ce qu'il était advenu de ses produits une fois ceux-ci sortis de son jardin. Si quelqu'un demandait la raison de cette indifférence, il haussait les épaules et disait: "Mes fruits et légumes vont nourrir l'humanité." La fierté et le plaisir qu'il prenait dans cette simple certitude lui suffisaient.

Le soir, une fois les ouvriers rentrés chez eux, il restait souvent seul, écrivant ou dessinant dans l'un des petits cahiers qu'il gardait dans sa poche. Le jardin devait être fait pour donner beaucoup plus. Il arpentait inlassablement les allées pavées, imaginant de nouvelles dispositions, des cultures différentes, toutes sortes d’améliorations. Il était généralement tard dans la nuit avant qu'il ne rentre chez lui.

Les gens pensaient qu'un jour ses pieds s'enfonceraient dans la terre, que des feuilles et de la mousse jailliraient de ses oreilles et que ses bras se transformeraient en branches.

Un jardin pour défier les saisons