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Un «jardin» est-il la plus grande œuvre d'art au monde?

Quelle est la meilleure nouvelle œuvre d'art au monde? Bonne question. La nouvelle œuvre d'art la plus intéressante et déconcertante que j'ai rencontrée est un jardin remarquable à Paris intitulé Who to Believe?, récemment conçu et assemblé par François Abelanet. Nous sommes habitués à l'idée que la peinture peut former une illusion. Mais c'est un peu surprenant de trouver cet effet créé avec de l'herbe et des arbres. C’est pourtant le fruit du travail d’Abelanet, composé de 3 500 pieds carrés de gazon et de nombreux camions chargés de terre et de paille et assemblé avec l’aide d’environ 90 jardiniers soigneusement surveillés. En voici une très bonne vidéo:

Lorsque vous le regardez des marches de la mairie de Paris, le jardin soigneusement conçu d'Abelanet ressemble à un globe terrestre. C'est une sphère presque parfaite, avec des lignes bien marquées indiquant la latitude et la longitude et deux arbres poussant au sommet. Cela ressemble à une de ces planètes dessinées par Antoine de Saint-Exupéry dans Le Petit Prince .

Mais bougez un peu et son apparence change. Sous un autre angle, il s’agit d’une plume de formes irrégulière, d’un monde étrangement configuré, le monde Alice-In-Wonderland. Abelanet a réuni deux traditions artistiques apparemment divergentes: le jardin à la française et Anamorphosis.

Les jardins constituent l'une des réalisations les plus remarquables de la culture française et ont atteint leur apogée dans l'œuvre d'André Le Notre (1613-1700), chef jardinier du roi Louis XIV (1638-1715), notamment au château de Versailles. Le trait distinctif des jardins à la française est leur logique géométrique et leur maîtrise des perspectives. Au centre de la grande terrasse de Versailles, l’œil est dirigé vers de grandes avenues dans lesquelles des rangées d’arbres et des lacs, des fontaines et des statues placés à des endroits stratégiques le mènent apparemment à l’infini. Le plus heureux quand il travaillait à grande échelle, Le Notre déplaçait parfois des villages entiers pour créer les vues strictement réglementées qu'il souhaitait.

Le Notre s’intéressait également à l’impact dramatique d’effets surprenants, visibles depuis un seul endroit. Il en est de même dans le jardin de Vaux-le-Vicomte, créé juste avant Versailles pour le ministre des Finances, Nicholas Fouquet. Tenez-vous devant la statue de Hercule gaulois, qui marque la fin de la Grande Avenue, et regardez en arrière le château: Le reflet du bâtiment éloigné flotte, apparemment miraculeusement, à la surface d'un plan d'eau très proche de vous. Visuellement, cela semble impossible, bien qu'il s'agisse simplement d'une application prudente d'un principe optique récemment décrit par Descartes: «l'angle d'incidence est égal à l'angle de réflexion». En d'autres termes, si nous choisissons soigneusement le bon point de vue, nous pouvons voir le monde d’une manière possible nulle part ailleurs.

Ce concept de point de vue unique et privilégié constitue la base du jardin d'Abelanet. Mais contrairement au travail de Le Notre, il révèle un monde qui n'est ni prévisible et logique, ni sous notre contrôle, mais à l'envers et imprévisible. En substance, il a combiné les techniques de Le Notre avec une approche de la représentation que l’on ne trouve généralement que dans la peinture.

Anamorphose. Le mot, qui est grec, fait référence à une image qui doit être vue sous un angle particulier pour être vue sans distorsion. Il s’agit d’une sorte d’extrapolation loufoque des principes de la perspective. Elle s’est développée au début de la Renaissance, peu de temps après que la perspective à point de fuite ait été développée. Le chef-d'œuvre du genre est sans doute un grand et imposant tableau de Hans Holbein présenté à la National Gallery de Londres, The Ambassadors .

Les ambassadeurs de Holbein Les ambassadeurs de Holbein (Gracieuseté de Wikicomons)

Puzzle ingénieux, exécuté vers 1533, The Ambassadors montre deux personnages presque grandeur nature qui ont été identifiés comme étant Jean de Dintevile, ambassadeur de France à la cour de Henri VIII et George de Sleve, évêque de Lavaur. Derrière eux se trouve une table à deux niveaux sur laquelle sont empilées une sélection de livres, de globes (un terrestre et un céleste) et d'instruments scientifiques, notamment un quadrant, un astrolabe et un cadran solaire. Il y a aussi un luth avec une corde cassée, à côté d'un livre de cantiques dans la traduction de Martin Luther. Les érudits ont longtemps discuté de la signification de ces objets. Vraisemblablement, les instruments disent quelque chose sur le monde de la connaissance, ou sur le monde céleste et terrestre. Le recueil de cantiques et le luth semblent faire allusion à des conflits entre érudits et clergés.

Mais ce qu'il y a de plus étrange dans The Ambassadors, c'est une forme étrangement déformée en bas au centre qui, vue de la droite du tableau (ou du spectateur à gauche), prend la forme d'un crâne. Cela fait sûrement allusion au fait que la mort est toujours présente, mais nous ne le voyons que si nous regardons la réalité sous un angle particulier.

La peinture de Holbein nous avertit que l'anamorphose est un appareil qui peut non seulement nous amuser avec ses étranges distorsions visuelles, mais peut aussi fournir une métaphore. Une partie de l'esprit du merveilleux jardin d'Abelanet réside dans le fait qu'il fonctionne d'une manière porteuse de punch métaphorique et métaphysique. Aucune forme de gouvernement sur la Terre n'est probablement aussi centralisée et bureaucratique que celle de la France. Les décisions prises au sommet sont exécutées rigoureusement au niveau le plus bas. Il a été dit que si vous entrez dans une salle de classe en France, vous constaterez que les élèves étudient la même page dans le même livre que dans toutes les autres salles de classe du royaume. Mais comment les gens au sommet prennent-ils leurs décisions? Que voient-ils de leur point de vue?

Le jardin d'Abelanet nous rappelle que la vue de l'hôtel de ville peut être assez différente de celle de partout ailleurs: en réalité, l'apparente logique de sa vision des choses peut être absurde. Pour bien saisir la réalité, nous devons voir à quoi elle ressemble de plusieurs endroits (hommes politiques, prenez note). Comme beaucoup des meilleurs arts du monde, la création d'Abelanet est à la fois stupide et profonde.

Est-ce la meilleure nouvelle œuvre d'art du monde? J'accepterais d'autres suggestions.

Un «jardin» est-il la plus grande œuvre d'art au monde?